DE QUOI LA GRÈCE VA-T-ELLE FINIR PAR ÊTRE LE SYMBOLE ? par François Leclerc

Billet invité.

Une réunion de deux heures aura été nécessaire, la nuit dernière, pour en rester toujours au même point : Angela Merkel et son comparse François Hollande n’auraient semble-t-il pas infléchi d’un iota leur position, et les points durs les opposant à Alexis Tsipras n’auraient pas varié. Rien n’indique dans les propos qu’ils ont tenu un arbitrage entre les positions divergentes qui se sont révélées à demi-mot au sein de l’ex-Troïka. Notablement, Jean-Claude Juncker n’était pas de la partie, et le premier ministre grec l’a rencontré dans un second temps. A se demander le sens de cette longue rencontre, si ce n’est pour accréditer que les deux dirigeants européens font tout pour masquer les désaccords afin de ne pas les trancher, et Alexis Tsipras pour tenter de trouver un accord sans se déjuger.

Mais, à l’arrivée, il n’y a pas plus d’accord politique entre eux que d’accord technique au sein du Groupe de Bruxelles, les deux leaders européens se défaussant sur le préalable d’un accord avec ce dernier, qu’ils font mine de ne pas vouloir favoriser. Le projet d’accord intermédiaire évoqué jeudi par Süddeusche Zeitung est-il vraiment sur ses rails ? Il permettrait, selon le quotidien allemand, un versement partiel des sommes restant dues au titre du plan de sauvetage, en contrepartie de réformes qui ne toucheraient pas les lignes rouges des salaires, des retraites et de la législation du travail, la discussion sur celles-ci remise à l’automne dans le cadre des négociations sur la dette. Les réformes de la TVA et de la taxe immobilière seraient dans l’immédiat seules en cause.

A nouveau, le scénario de la rupture resurgit, alors qu’en Grèce la contestation se développe chez les cadres de Syriza qui revendiquent désormais ouvertement un défaut sur la dette et menacent la faible majorité sur laquelle le gouvernement peut s’appuyer. Mais l’expression la plus symbolique de l’impasse politique qui pourrait intervenir est représentée par la venue, qui se profile, d’un vieux cheval de retour à la tête de Nouvelle Démocratie : Costas Caramanlis, le représentant d’une des deux grandes familles – l’autre étant celle des Papandréou – qui ont tour à tour dirigé la Grèce et portent ensemble la responsabilité de ses pires errements. Quel aboutissement pour les dirigeants européens, si cela se confirmait !

Une scission au sein de Syriza rendrait-elle viable l’avènement d’un gouvernement de centre gauche signant un acte de reddition, sur la base d’un referendum l’avalisant afin de malgré tout rester au sein de l’euro ? Un tel calcul concrétiserait les rêves des dirigeants européens et répondrait à leur intention de faire la démonstration que rien ne peut leur être opposé. Mais il ne réglerait rien, signant une victoire à courte vue et à la Pyrrhus.

Au plan politique, un tel gouvernement aura perdu ses bases populaires qu’une scission au sein de Syriza ne pourra que partiellement récupérer. Et Zoi Kostantopoulos, qui est à la tête du Parlement et a lancé le Comité pour la vérité sur la dette grecque, pourra engager une procédure en vertu de la non constitutionnalité d’une partie de celle-ci. Car cette question de la dette continuera de peser de tout son poids, les dirigeants européens n’étant pas en mesure d’effectuer une seconde démonstration : celle qu’elle est soutenable.

Seul le secteur touristique tourne et l’économie grecque est retombée dans la récession, tout juste sortie selon des calculs contestés d’une dépression qui a duré six années, l’État ne payant plus ses factures aux entreprises afin d’assurer prioritairement le remboursement de ses créanciers et le versement des salaires et des retraites, les banques n’ayant plus les moyens de dispenser le crédit. Même très minorés, de nouveaux objectifs d’excédent budgétaire seront très durs à tenir et la soutenabilité de la dette grecque à laquelle il pourra être prétendu se limitera à ne pas l’accroître, au prix d’un soutien financier sans fin et de l’approfondissement de la crise sociale dans un pays en état de survie.

La Grèce ne donnera pas à l’Europe l’image d’une réussite programmée, mais celle de l’échec d’une politique qui prétend la redresser. A bien y réfléchir, cette démonstration est-elle à ce point éloignée de ce qui est en général observé au sein de la zone euro, en dépit de la petite flambée actuellement enregistrée sur laquelle planent de fortes interrogations ? Les banquiers centraux du monde entier ont été invités à Sintra, au Portugal, pour des journées d’études organisées par la BCE sur le thème « inflation et chômage en Europe ». Mario Draghi a donné le ton en affirmant voir une « reprise cyclique (qui) parvient à fournir des conditions presque parfaites pour que les gouvernements se lancent de manière plus systématique dans des réformes structurelles qui vont ancrer le retour à la croissance ». Lorsque de mystérieux cycles sont invoqués, ce n’est jamais signe d’une claire compréhension de ce qui se passe… Et, si on le comprend bien, rien n’est joué il s’en faut !